Bonjour monsieur de la Beaume, sieur de Feucherolles et du Plessis Saint Antoine, ce matin, je vous ai vu descendre la rue Dauphine, barbe taillée, bottes aux pieds et pas vaillant.
Vous arpentez Paris et vous rendez à votre académie : vous allez donner leçon au très jeune roi…
Bonjour Antoine …Bonjour messire de Pluvinel !

LE VENT NOUVEAU

Monsieur vous ne me connaissez pas, je suis 500 ans au dessus de vous, et je regarde le siècle de votre naissance. Il est riche, il change, il mute, il se transforme, Monsieur vous êtes en pleine renaissance et vous ne le savez pas…

Du temps de votre grand père, un génie italien, disséqueur de cadavre est mort au Clos Lucé, un roi de France lui tenant la main…Les pans du monde ancien sont tombés, la terre n’est plus plate, Cartier, Magellan, Colomb ont révélé de nouveaux horizons. Des moines manuscrivent encore, mais les ateliers de Guthenberg impriment. L’enfer et le paradis changent de visage, la peste noire est loin et les danses macabres sont finies.
Bien sur les seigneurs sont là, mais les bourgeois sont nés et les cités sont florissantes; à Venise, en république, on élit le doge…
Machiavel parle de politique et examine le gouvernement du Prince, Erasmus évoque Socrate, Plantin a des presses à Anvers. Phillibert de l’Orme a construit le palais des tuileries qui est « la maison d’une reine » et monsieur de Ronsard évoque Cassandre.
Un moine allemand a remis en question le pouvoir de l’église de Rome, papistes et huguenots se sont déchirés et Henri le quatrième est mort poignardé dans son carrosse rue de la Ferronerie.
Même les guerres ont changé, les armes sont nouvelles, les couleuvrines et les mousquets sont meilleurs que les preux à cheval, la piétaille devient victorieuse, la poudre est plus efficace que les lances et les armures. Armes de guerre maintenant limitées, plaisirs de parade dangereux, les destriers, les palefrois, les roussins ont perdu leur emploi. En 1559 Henri II est mort une lance figée dans l’oeil : les tournois sont interdits.
Le système féodal s’estompe et les préceptes de la chevalerie s’évaporent, les donjons s’écroulent, le Louvre, a encore ses tours médiévales, mais la façade de Pierre Lescot est née. Les villes se développent et les guildes grandissent : la renaissance est sous vos pas. Vous, monsieur de Pluvinel, vous n’y pensez pas.
Vos bottes claquent sur le pavé, bientôt on mettra des verres sur vos yeux vieillissants, non je divague, vous n’aurez jamais de lunettes, mais cependant Ambroise Paré à déjà opéré et Léonard révélé une vraie anatomie.
Oui votre monde change, d’autre idées naissent, vous-même n’avez plus vis à vis des chevaux, la même attitude que vos aïeux

De l’élève au maître

Monsieur nous sommes le 6 juin 1613, vous traversez le pont neuf et ses boutiques, vous avez 58 ans et êtes certainement le cavalier le plus reconnu de votre temps.

Vous êtes né en 1555, en royaume de France, au bord de la Drôme, à Crest, vous êtes mâle et êtes du deuxième ordre, celui des guerriers qui paie l’impôt du sang, vous ne ferez aucun négoce, porterez le nom de votre père : de la Beaume et prendrez un des titres de votre famille : Pluvinel.
En votre époque, à dix ans si l’on n’est pas mort on est adulte.
En 1566, vous ne servez pas le roi Arthur mais, autres temps, autres moeurs, vous êtes à Naples et apprenez très tôt auprès des maîtres de votre époque, « l’art équestre » et « comment on monte à cheval ». Il est vrai que tout jeune noble doit savoir être cavalier, et vous, pour approcher cet exercice difficile et ô combien réservé à ceux de votre caste, allez, comme tant de vos pairs à cette époque, de l’autre côté des Alpes et êtes envoyé à l’école de Pignatelli. Sept ans passent…combien de leçons, combien de traversées d’écurie, combien de chevaux, combien d’heures de manège avez vous véçues ? Peu importe, votre apprentissage est terminé. Apparemment, il a porté ses fruits, parce que vous rentrez en France sous l’égide de monsieur de Sourdis qui n’est autre que le premier écuyer du roi. Il vous présente derechef, à ce Charles qui est le neuvième, et vous êtes nommé, (dans la foulée !!!) écuyer de son frère : le duc d’Anjou. Vous avez alors dix-sept ans, en cette terrible année 1572.

Les guerres civiles et les luttes de pouvoirs rongent le royaume, le 24 août lors d’une Saint Barthélémy tragique, vous étiez à Paris, vous avez vu la Seine devenir rouge et les cadavres joncher les rues autour du Louvre, mais vous êtes un homme neutre qui ne pense qu’aux chevaux; les clans et les religieux vous indifférent.
Le 11 mai 1573 votre duc, Anjou, sous la férule d’une mère politicienne au plus au point, est élu roi de Pologne. En tant que premier écuyer, vous êtes évidemment de sa suite, et quittez Nancy le 25 novembre, pour mener, Henri, ses fidèles fort peu nombreux, et ses chevaux, à travers un chemin glacé, vers son exil monarchique de l’Est. Monsieur, l’année 1574 arrive, vous n’avez pas 20 ans et vous voilà à Cracovie, Monsieur on aurait pu vous perdre !!!
Cependant, la roue tourne ! Le 30 mai le printemps arrive péniblement sur les berges de la Vistule, mais au Louvre, par ce dimanche de la pentecôte, Charles n’atteint pas vingt-quatre ans et achève sa longue agonie. Catherine est régente, et Henri d’Anjou devient, au fond de sa Pologne, roi de France. Il l’apprend le 15 juin, au lendemain d’un bal, et décide, en conseil très restreint, dont vous faisiez certainement partie, de fuir « in petto » ses sujets polonais pour aller se ressaisir de cette bonne couronne de France, qui lui avait, faute de droit d’aînesse, glissée entre les mains. En pleine nuit, entre le 17 et 18 juin 1574, lui, ses suivants, ses mignons, ses chevaux, ses servants, s’évadent grand train et chevauchent le plus rapidement possible vers une autre frontière. Vous êtes certainement, en temps que maître des écuries, organisateur de cette galopade effrénée, véritable évasion, qui conduira Henri, quatre jours plus tard en Autriche, à l’abri des vindictes de Tenczenski grand maréchal du palais polonais. Le nouveau roi, toute frayeur passée randonne ensuite en chemin et pose pied à Lyon le 6 Septembre 1574.
Henri n’est pas un ingrat; vous écartelerez vos armes au « cavalier de Lituanie », les charges et les bénéfices pleuvent, chambellan, gouverneur de la grosse tour de Bourges, sieur du Plessis Saint Antoine…Et toujours premier écuyer…

En 1589, Henri de Navarre succède à son cousin, vous restez au service du nouveau souverain et gérez encore et toujours les chevaux du roi…On vous sait gré du devoir accompli, de votre mieux, au service de la couronne et en 1594 votre grand rêve voit jour, vous êtes autorisé à fonder votre « académie », votre école d’équitation, vous avez 39 ans.
Elle est située juste derrière la grande écurie, sur la rive droite de la Seine, comporte un manège et une grande cour d’où on a vue sur le Louvre. En sus de l’art équestre on y enseigne la peinture, la danse, la poésie, la musique et même les mathématiques ! Mais vous, vous y donnez des leçons de monte à toute la fine fleur de la noblesse de France, vous êtes un cavalier hors pair, et les grands viennent vous regarder travailler…
Votre renommée est telle qu’Henri IV vous nommera sous-gouverneur du dauphin Louis avec pour mission de le mettre en selle. Vous êtes déjà précepteur de son premier fils reconnu, le duc de Vendôme.
En 1609, vous devenez ambassadeur, Navarre vous envoie discuter des problèmes espagnols auprés de Maurice de Hollande, rien n’aboutira, le couteau de Ravaillac est passé et n’a permis aucune discussion…
En 1612, vous avez organisé, une grande fête; un carrousel a eut lieu place royale…

Voilà, monsieur, le temps passe, vous n’en avez cure, pourtant je suis dans votre présent.
Vous avez ralenti le pas et êtes dans l’allée des grande écuries. Vous reniflez l’odeur de la paille, allez faire un tour du côté des remises, passez à la forge…Vous vous attardez auprès d’un chanfrein et flattez une encolure…Vous parlez aux palefreniers, réprimandez un commis et songez à votre leçon…Vous la donnerez à cheval, dans la cour, et ce sera perfectionnement du « voltare »…
Votre élève est Louis XIII, il a douze ans.

Que la bonté l’emporte sur la sévérité…

Monsieur, je deviens votre futur, 1620 arrive, vous avez 65 ans et, bientôt, le 24 août précisément, vous mourrez, en votre château de Feucherolles. Vous étiez « Equus magister » et votre enseignement reste oral, l’ ouvrage sur lequel vous avez travaillé n’est pas édité. Il sera finalement publié en 1623, par le graveur flamand Crispin de Pas , ( que vous avez, peut-être, rencontré lors de votre ambassade hollandaise ) et Peyrol, votre ancien valet de chambre, et s’appellera « le maneige royal ». En 1625 une deuxième version apparaît, René Menou de la Charnizay, un de vos élève, fâché de la première édition y réinscrit les textes que vous lui aviez confiés ( et dont le graveur flamand avait fait abstention ) et vos leçons y apparaissent sous forme de dialogue entre un Pluvinel quinquagénaire donnant : « l’instruction du Roy en l’exercice de monter à cheval » à un jeune adolescent.
J’ai sous les doigts les gravures de « l’instruction du roy », je vous vois, je vois votre visage, je vois les costumes de la cour de France et j’en vois l’acteur principal; le cheval, je lis vos textes un peu surannés et y trouve des paroles de cavalier.

Monsieur, nous nous sommes égarés ! Revenons dans le présent.
Vous attendez le roi, il arrive accompagné de Monsieur de Bellegarde, grand écuyer de France et de messieurs de Potrin, de Fiat, de la Sourdière, de la Ferté… Vous les saluez comme il se doit. Louis n’a pas à attendre, son cheval est prêt et est mené dans le manège par deux valets, vous même l’aidez à se mettre en selle et le laissez seul quelques minutes. Il ne vous en veut pas, au contraire, ce rendez-vous presque quotidien est pour lui la seule manière d’échapper à l’atmosphère du Louvre qu’il déteste. Vous vous mettez à cheval sur votre très bel Andalou, Le Bonite et commencez à donnez votre leçon…
Vous amenez Louis à rechercher avant tout l’impulsion, mais dans des allures très relevées et raccourcies : un port très haut de l’encolure, une mise en avant du poitrail, un allégement des épaules, un chanfrein absolument vertical, un gros abaissement des hanches et des « jarrets en dessous ». Votre école cherche encore la maîtrise absolue et votre quotidien sont nos airs de haute école; accomplir au galop la volte la plus petite possible « le faire manier sans sortir d’un rond à peu près de la longueur du cheval », exécuter galop très rassemblé et terre à terre, décrire un carré qui à chaque coin comportera un quart de volte, exécuter levades, « pas très nerveux », piaffer et cabrioles. Vous cherchez avant tout un équilibre basé principalement sur le rassemblé, voire le relevé, arrière main en bas et avant main en haut.
Pour cela vous commencez l’éducation du jeune cheval sans selle et non monté « pour ne pas faire courre fortune à aucun homme » sur un pilier car votre regard a constaté que « le poulain ne va aisément qu’en ligne droite », et vous ne négligerez jamais les assouplissements latéraux. Pour obtenir ce fameux abaissement des hanches qui vous préoccupe tant, vous avez inventez le travail aux deux piliers, qui n’est pratiqué de nos jours qu’à Saumur et Vienne.
Ensuite vient le travail monté.
Votre équitation est très assise, vous vous devez d’être « droit de même que quand vous êtes sur vos pieds, l’estomac avancé avec un petit creux près de la ceinture, les genoux serrés (!!!) les talons tournés vers le dehors ( à cause des très longs éperons ) ». Vous cherchez la maniabilité et le contrôle à l’extrême.

Cependant et surtout vous avez été l’un des premiers à enseigner le cheval en tant « qu’être » et vous avez renoncé à moult méthodes barbares largement admises en votre temps. Vous avez préféré le savoir et la patience aux artifices, vous avez adouci (relativement) les embouchures en préconisant qu’elles soient adaptées à la monture et étiez assez pointilleux sur l’usage de l’éperon. Vous pensiez que le cheval était intelligent et disiez qu’il fallait s’adresser « à sa cervelle », « le cheval qui manie par plaisir va de meilleur grace ».
« Si le cheval est impatient, méchant, en colère, il faut se donner garde de le battre pourvu qu’il aille de l’avant ».
Monsieur vous avez compris que « Seule l’ignorance des hommes est cause de la résistance des chevaux » et qu’« il faut être avare des coups et prodigue des caresses » en cela vous avez fondé une nouvelle école, d’autres vous suivront, mais ceci est une autre histoire.

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